Thierry France Pey

Thierry France Pey, artiste visuel contemporain, est né dans le Vaucluse et vit à Avignon, sa ville de cœur. Après 25 ans passés dans le monde de l’édition décorative, il fonde l'Écho des Expos Dakar, un observatoire dédié aux artistes visuels de la capitale sénégalaise. À la suite de ce riche parcours, il choisit de se consacrer pleinement à sa pratique artistique : le dessin et la peinture. Son travail a été présenté lors de plusieurs grands événements, notamment la Biennale de Dakar, Mare Nostrum (Beaucaire) et la Galerie Arteastic (Avignon).

Entre surréalisme audacieux et abstraction figurative, Thierry France Pey développe un univers singulier peuplé de créatures hybrides : des êtres à tête d’oiseau, de lapin ou de rhinocéros, errant à travers des paysages mentaux et les friches de nos rêves oubliés. Ses personnages ne sont ni totalement humains ni totalement animaux — ils fument des cigarettes, méditent ou errent en silence, à la frontière du réel et de l’imaginaire.

Peintre des rêves enfouis et des émotions silencieuses, Thierry France Pey se définit comme un reporter du monde intérieur, un explorateur des profondeurs oniriques. Son style se caractérise par une technique mixte, combinant pigments naturels, peintures à l’huile et pastels, au service d’une expression libre et résolument contemporaine.

La mésentente – Thierry France Pey Le dépit – Thierry France Pey Le quotidien des hommes oiseaux – Thierry France Pey Toile initiatique – Thierry France Pey


Les mots de Monique Laidi Chabaud
commissaire d’expositions et directrice artistique du Musée Auguste Chabaud

La Sonorité des âmes
Peindre l’invisible

Dans les méandres de l’œuvre de Thierry Morhange se révèle un monde étrange et inconnu animé de silhouettes fantomatiques, à la présence quasi divine d’où émanent force et spiritualité. Je les perçois comme des figures « justicières » venues sur la terre pour nous frayer quelques chemins de survie pour échapper aux tensions et tumultes qui grondent ou encore pour nous faire passer quelques messages d’humanité et nous mettre en garde contre les forces du mal.

Ces silhouettes mi-bêtes mi-hommes nous interrogent, sortant de nulle part, elles évoluent dans les brumes d’un monde mythique et fantasmagorique. Elles semblent être des figures bienveillantes, désireuses de nous apporter aide, protection et réconfort, et peut-être à nous familiariser avec ce que nous cherchons inconsciemment à occulter, ce passage entre la vie et la mort qu’il nous faudra un jour envisager et vivre.

Sa palette faite de tons d’une austérité étonnante, réhaussée parfois de zones plus colorées, entre tons chauds et tons froids, est d’une grande intensité et harmonie lumineuse. Entre ombre et lumière, par je ne sais quelle magie, notre regard divague et se perd dans les sinuosités de son alchimie colorée. Parfois une teinte de couleur pure s’immisce dans la composition chromatique et dynamise la scène, crée une intensité avec l’apparition d’une autre présence. Un intrus peut-être, d’allure plus menaçante qu’il faut déjouer ou encore, au contraire, un prédicateur venu apaiser les esprits.

C’est dans un énigmatique flou que se déroule l’histoire, la rencontre entre les êtres, ombres éthérées en demi-teinte, dans un silence opaque mais sonore aux bruissements furtifs de leur pas. Que se disent-ils ces êtres à l’aura mystérieuse ? Font-ils silence ou conversation ? D’où viennent-ils ces étranges personnages, ce bestiaire aux formes humaines, mi-lapins, mi-oiseaux, mi-rhinocéros, hybrides aux corps alourdis et à la minuscule tête ancrés dans un sol aux mouvances plus célestes que terrestres ?

C’est l’histoire d’un autre monde qui n’a rien de ténébreux car ces personnages à la silhouette dérangeante au premier abord nous deviennent vite familiers et étrangement nous apaisent et nous invitent à pénétrer dans leur intimité cachée.

Le fondu de ses couleurs, entre matière et fluidité, dans cette patine ocrée qu’il maîtrise à la perfection, avec ses énigmatiques blancs, ses verdâtres et l’intensité de ses bleus et rouges, nous révèle un indéniable coloriste à la « science infuse ». Néanmoins l’association de ses couleurs se fait en toute liberté dans une approche plus instinctive que cérébrale, malgré une technique très élaborée où émerge son monde entre figuration et abstraction.

À l’aise avec la technique du « sfumato » — terme italien qui signifie évanescent, avec cette idée d’enfumé. Cette « façon de faire », mise au point par Léonard de Vinci et décrite comme « sans lignes ni contours », désigne une manière de peindre particulière, qui donne une impression vaporeuse au tableau ou à certaines zones. En réalité, ce sont ici les contours des sujets qui sont comme « laissés en suspens » et qui donnent une certaine sensation d’imprécision et une ambiance globale particulière qui fait tout le charme de cette technique.

Dans l’œuvre de Thierry Stam, les contours, parfois, s’estompent et pour lui, il n’est pas toujours nécessaire de les spécifier, de les peindre ou de les dessiner. Il les laisse flotter dans une sorte de volupté, de fumée, pour donner un aspect mystérieux à sa peinture.

Il empile des couches de glacis fines et transparentes comme le faisait Léonard de Vinci et nous sommes happés et emportés dans ses douces volutes colorées comme un tourbillon d’ivresse qui fait du bien à l’âme. C’est un piédestal qui nous est proposé pour dépasser un peu le terrestre et rejoindre le céleste avec ses ouvertures et ses entrées paradisiaques, ses couchers de soleil et cette notion d’infini.

Ses dessins encrés d’approche calligraphique où coule parfois un jus coloré sont d’une gestuelle hâtive et maîtrisée et d’une folle liberté où se devine toujours une présence.

C’est sur le grand format qu’il excelle, l’espace du « grand univers » lui va bien car ces êtres hybrides ont besoin d’évoluer en toute liberté dans un monde sans barrière, sans entrave. La résultante de la libération de l’âme et du monde intérieur de l’artiste. Son lyrisme coloré est totalement maîtrisé et comme les peintres de la Renaissance, Les Rembrandt et Le Caravage, il est également un familier du clair-obscur où les parties plus ou moins éclairées sont claires ou dans l’ombre.

En fonction de la surface éclairée, lisse ou anguleuse, et si cette lumière est plus douce ou plus vive, si l'ombre est plus profonde ou les contrastes plus intenses, le clair-obscur produit des transitions imperceptibles, plus nettes ou brutales et par plans juxtaposés, la luminosité d'ensemble pouvant être claire ou obscure. On retrouve dans l’œuvre de l’artiste cette technique qui est de réaliser des gradations sombres sur un support plus ou moins clair mais parfois, à l'inverse, il applique des couleurs claires sur un support sombre pour arriver à la juste distribution des ombres et des lumières.

Malgré cette maîtrise picturale élaborée, il fait toujours confiance à son « feeling » et son instinct et peut se libérer avec facilité du carcan trop technique ou académique, s’il devient trop contraignant. Il a cette faculté de s’échapper à trop de rigueur qui pourrait faire entrave à sa création et son univers poétique.

Ainsi, l’expression de ses corps, tout en mouvance, déambule dans ses toiles et l’artiste avec ses secrets, alchimie des couleurs, associées aux pigments, aux pastels et autres, nous révèle ce qu’on appelle l’autre monde, avec ses êtres insaisissables car immatériels et à l’aura indéfinissable. C’est l’émanation de l’âme et son essence, bien plus prégnante que celle ressentie au contact du corps physique.

En conclusion, nous pourrons dire que la peinture de Thierry Morhange est une peinture métaphysique, à la dimension onirique et fantastique, avec ses symboles mystérieux qui renvoient à l’iconographie symboliste et à cette fascination pour l’étrange et l’occulte. Elle est le reflet de son monde intérieur, avec ses joies , ses peines et ses peurs et nous devons constater qu’il évolue avec aisance dans le monde des esprits en se mêlant à leur énigmatique danse.

Les artistes métaphysiques croyaient en l’art comme prophétie et en l’artiste comme poète visionnaire qui, dans des moments de clairvoyance, pouvait enlever le masque des apparences et révéler « la vraie réalité » qui se cachait derrière. Leur stratégie consistait à dépasser la visibilité physique de la réalité, à effrayer ou à surprendre le spectateur par des images énigmatiques. Fascinés par l’étrangeté de la vie quotidienne et comme les peintres surréalistes, ils ont cherché à créer une atmosphère qui capture l’extraordinaire dans l’ordinaire. Cela me semble correspondre à l’univers pictural de Thierry Morhange, France Pey de son nom d’artiste.

— Monique Laidi Chabaud